[TÉMOIGNAGE #5] Professionnels du domicile : Arrêt ou renforcement des interventions / COVID-19.

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Quelques moments du quotidien de Simon, Aide Médico-Psychologique (AMP) intervenant à domicile, pendant le confinement

 

Simon est Aide Médico-Psychologique (AMP) et travaille depuis 7 ans pour un service d’aide à la personne à domicile certifié Cap’Handéo, après une longue carrière de prothésiste dentaire. Ses interventions concernent souvent des personnes avec Autisme ou ayant un handicap psychique. Simon agit dans son travail en fonction de ce qu’il ressent et de son intuition. Il mobilise pour cela son empathie et ses capacités d’observation. Il apprécie particulièrement la relation avec les personnes avec Autisme, car il se sent proche de leur mode de fonctionnement et est à même de bien les comprendre. Son projet est de passer le diplôme d’Educateur Spécialisé.

Depuis le début du confinement, les plannings ont été réorganisés. Plusieurs professionnels ne travaillent plus, ou moins. Certains suivis ont également été suspendus. A la demande de la mère, Simon ne vient plus faire de l’aide aux devoirs à un adolescent avec Autisme qu’il connaît depuis 7 ans. D’autres suivis ont été modifiés. Saïd, un jeune garçon avec Autisme que Simon raccompagnait chez lui en métro ne va plus à l’Institut Médico-Educatif (IME) ; Simon le retrouve donc au domicile, où ils font quelques activités, ce qui soulage sa mère et son frère. Libéré de l’inquiétude de gérer une crise de Saïd à l’extérieur, Simon a le sentiment qu’ils échangent plus calmement.

 

A l’inverse, pour certaines personnes qui étaient dans une situation de dépendance importante pour la gestion du quotidien, le suivi s’est intensifié. Au final, Simon intervient chez moins de gens, mais plus longtemps et plus souvent. Ainsi, depuis le confinement Simon se rend plusieurs fois par semaine, parfois deux fois par jour auprès de Makram. Simon connaît bien Makram, qu’il accompagne depuis 6 ans. Intervenir auprès de Makram, qui vit avec une déficience motrice et un trouble cognitif suite à un traumatisme crânien, est éprouvant. Cela tient aux tâches à effectuer et à l’imprévisibilité de l’humeur de Makram.

« On ne sait jamais comment il sera ‘‘luné’’. Souvent, il vous accueille de façon désagréable. Le matin à 8h quand j’arrive, je lui dis bonjour et j’évalue son humeur. Ensuite, je dois lui préparer son petit-déjeuner et faire l’entretien du logement. C’est assez en désordre chez lui, il ne jette pas les choses dans la poubelle, en un jour tout est à refaire. Il jette ses poches d’urine par terre, il fait caca en se mettant la main dans le derrière et il jette par terre, surtout quand il est de mauvaise humeur. Quand je trouve la chambre trop en désordre, je commence par tout ranger et nettoyer, mais il me dit non, arrête, c’est moi qui décide ce que tu fais. Mais quand il y a des selles au sol ou sur les roues du fauteuil, je lui dis non, on ne peut pas rester comme ça. »

 

Simon a des techniques pour gérer ces situations et ne pas se laisser trop malmener sans créer d’affrontement. « Quand il fait une remarque désagréable, il ne faut pas répondre, il faut se taire en montrant son mécontentement ou sa surprise, mais ne pas rentrer dans la conversation, sinon il devient très agressif, et il peut lancer la bassine par exemple ».

Simon voit de l’ambivalence dans l’attitude de Makram. Quand celui-ci lui donne l’impression de mal faire, c’est dans un effort de maîtriser la situation. Makram est ainsi très angoissé, et particulièrement râleur, quand le planning change et qu’il ne sait pas quel aide à domicile va se présenter. Dans le même temps, au fil des années un lien s’est créé entre eux et des moments de complicité existent. Makram demande des nouvelles de la famille de Simon, ou lui propose un café quand il sent que Simon est fatigué.

La crise sanitaire a eu des effets sur les relations entre Simon et Makram. Au début du confinement, lorsque Simon est devenu le seul à venir voir Makram, les rapports se sont détendus. Difficile de savoir pourquoi. Simon a eu l’impression que Makram reconnaissait l’importance de ce que Simon fait pour lui. Makram est très inquiet de perdre les deux passages par jour dont il a besoin pour se laver et se nourrir. Simon lui-même se rend compte qu’il s’est mis à plaisanter plus souvent, à faire de l’humour sur la situation. « En arrivant dans sa chambre, au lieu de lui apporter comme d’habitude le verre d’eau, j’arrive au rythme de la musique, il rigole parce que je fais le clown ».

 

La sœur de Makram, qui est aussi sa tutrice, joue un rôle particulièrement important dans cette période troublée. Régulièrement, lorsqu’un désaccord ne se résout pas entre Makram et Simon, ce dernier demande à ce que Makram l’appelle pour trancher. Par exemple, quand Makram a voulu sortir pour aller au centre commercial, comme il en a l’habitude, Simon a voulu que Makram obtienne l’autorisation de sa sœur. Celle-ci avait en effet été contrariée par la dernière sortie. Par téléphone, Makram a finit par convaincre sa sœur d’accepter la sortie et ils sont sortis en respectant ses conditions strictes de protection (très peu de temps, sans toucher aucune surface…). Mais en définitive, si la sœur de Makram avait refusé et qu’il ait exigé de passer outre, Simon se serait exécuté : « c’est lui qui a le dernier mot ».

Cela n’a pas empêché qu’à la fin de cette semaine, juste avant que Simon ne prenne une semaine de vacances, l’intervention se passe très mal. La mauvaise humeur de Makram, qui d’habitude se dissipe en une dizaine de minutes quand Simon marque sa désapprobation, a duré une heure. Cela arrive rarement, et selon Simon, cela marque qu’il était tendu, peut-être en raison des incertitudes sur le planning de la semaine à venir. Le lundi matin, lorsque Simon est arrivé chez Markam après ses vacances, il appréhendait de le retrouver. Tout s’est bien passé, ce jour-là et toute la semaine suivante. Malgré tout, entre l’aide au transfert, l’entretien du logement à effectuer, le fauteuil à pousser et les courses à porter, Simon ressent physiquement les six heures quotidiennes passées avec Makram, d’autant que s’y ajoutent deux heures chez une autre personne. Parce qu’il en éprouve la charge physique et psychologique depuis plusieurs années, Simon demandait, avant le confinement, à ne pas aller plus de deux fois par semaine chez Makram. Cette semaine, il y est allé tous les jours, en général deux fois par jour. Dans ce contexte inédit, Simon a conscience de la situation. Makram a besoin d’aide et de la régularité des personnes qui interviennent chez lui.